Vendredi 21 & Samedi 22 février 2020
Mahâ Shivarâtri est la grande nuit consacrée au Seigneur Shiva.
La coutume est de jeûner et de veiller toute la nuit en accomplissant
une pûjâ toutes les trois heures de 18 h à 6 h du matin, soit quatre pûjâs.:
la première du lait est versé sur le Shiva Linga,
à 21 h du lait caillé,
à minuit du beurre clarifié
à 3 h du miel.
Chaque ablution (abhisheka) est suivie d'une offrande de feuilles de bilva.
Alors que toutes sortes de parures (alankâras) sont offertes à Vishnu et ses incarnations,
l'ablution (abhisheka) et les feuilles de bilva sont ce qui est le plus cher au Seigneur Shiva.
Ces rites sont accompagnés de récitations védiques dont la plus importante est le Sri Rudram du Yajur Veda.
C'est au cœur de cet hymne que se trouve le mantra du Seigneur Shiva.
En effet, parmi les trois Vedas le Yajur Veda tient la partie centrale.
Dans le Yajur Veda il y a sept sections au centre desquelles, dans la quatrième section, se trouve le Sri Rudram,
et c'est au cœur de cet hymne que se trouve le grand mantra de Shiva.
Dans l'écrin des cinq syllabes qui le composent les deux syllabes du nom "Shiva" rayonnent comme l'expression de la Pureté absolue. La vigilance requise pour célébrer la Mahâ Shivarâtri élimine le sommeil de l'ignorance.
C'est la raison pour laquelle le Seigneur Shiva est appelé le Dispensateur de la connaissance,
particulièrement sous sa forme de Dakshinâmûrti.
Durant cette nuit entière dédiée au dieu Shiva,
les dévots se réunissent pour apporter des offrandes, prier,
méditer, chanter des mantra en l’honneur de Celui sans qui l’Univers se serait éteint.
Ces Puja (cérémonies) se font en effet en commémoration de l’Amrita Manthana
(le barattage de la mer de lait), un épisode déterminant de la mythologie hindoue :
A l’origine de l’Univers, alors qu’ils étaient simples mortels, les Deva (dieux) et les Asura (démons) se disputaient le pouvoir de l’ordre du Monde. Sur conseil de Vishnu, le préservateur de l’Univers,
les Deva unirent leurs forces à celles des Asura et firent ainsi bouillir l’océan de lait
afin d’en extraire le nectar d’Immortalité (Amrita).
Cependant, simultanément à l’apparition de l’Amrita, Kālakūta (un violent poison) émergea également à la surface de la mer de lait. Terrifiés, ils comprirent que leur détermination à acquérir le pouvoir d’Immortalité engendra en un même temps la menace de la destruction de l’Univers dont ils désiraient pourtant maintenir l’ordre et l’équilibre.
Désemparés, ils s’en remirent alors au Seigneur Shiva qui, par amour pour le Monde, aspira le poison sans l’avaler.
Toute la nuit, Shiva lutta contre le sommeil pour conserver le poison dans sa gorge sans prendre le risque de l’ingérer.
Et pour le maintenir éveillé, les Deva passèrent toute la nuit à chanter et à danser.
C’est à l’issue de cette nuit que le poison se transforma et, afin que les dieux puissent se souvenir du danger que leur orgueil avait fait encourir à l’Univers, la peau de Shiva devint intégralement bleue.
Même sans être Hindou, Mahā Shivarātri est une fête particulièrement intéressante sur le plan symbolique.
Le barattage de l’océan de lait fait métaphoriquement référence au processus de transformation
qui est à l’œuvre dans la pratique yoguique.
En effet, dans l’assiduité à la pratique, émergent à notre surface toutes sortes de sensations,
de sentiments, d’émotions.
Tout en découvrant peu à peu le meilleur de nous-mêmes que nous cherchons à développer (notre Amrita),
nous sommes également confrontés au poison présent en nous (Kālakūta) et
qui menace notre avancement et notre évolution ; ce poison est Avidya, l’ignorance,
et ses ingrédients sont nos illusions, nos conditionnements, nos peurs, nos fausses croyances, etc.
Nous ne pouvons recracher ce poison et faire comme s’il n’existait pas. Il est là, prêt à agir en nous. Et,
pour ne pas nous laisser détruire par ce poison intérieur, notre seul antidote est le discernement,
la vigilance, l’attention à chaque instant.
C’est ce que représente Mahā Shivarātri, cette nuit durant laquelle Shiva demeura éveillé, la conscience pleinement présente, afin que le poison ne puisse profiter d’un moment d’inattention pour se distiller en lui et l’anéantir.
C’est en cela que la pratique peut tant nous ébranler parfois. C’est un véritable apprentissage de la persévérance,
de la patience et de la foi : la discipline que cela nous demande n’est pas vaine ; faire face à nos ombres,
les sonder et les admettre nous permet petit à petit de nous en affranchir
afin que la Lumière puisse jaillir et triompher enfin de notre obscurité.
Ce que dit aussi la légende c’est que notre désir ardent de prendre le pouvoir sur nous-même et de nous établir dans la plus juste version de ce que nous sommes devrait toujours être équilibré par une humble confiance et un paisible abandon en une Transcendance qui nous apporte les grâces au moment où nous sommes prêts à les recevoir et suffisamment sages pour les préserver sans les abîmer dans un sursaut d’ego.
Cela illustre donc la nécessité de la complémentarité à trouver entre la détermination et le lâcher-prise afin de toujours garder à l’esprit que, même si nous avons le pouvoir de changer, nous n’avons (heureusement) pas la maîtrise de tout.
En réalité, nous ne pratiquons pas pour devenir meilleurs ; nous devenons meilleurs parce que nous pratiquons : les fruits de la pratique se récoltent lorsque nous nous détachons de nos attentes du résultat. Les bénéfices de la pratique ne sont pas un objectif à poursuivre, à conquérir et à atteindre, ils ne sont qu’une conséquence à accueillir, à recevoir et à honorer.
Alors, à défaut de devenir dieux et saints, au moins, nous pouvons devenir heureux et sains en nous autorisant à nous libérer de tout ce qui nous empoisonne.
Dans le juste équilibre application-abandon, lorsqu’il n’existe plus ni rigueur ni langueur, ni bien ni mal,
ni blanc ni noir, ni qualité ni défaut, ni lumière ni ténèbre, ni dieu ni démon, ni nectar ni poison,
par la libération du joug de son ego et de l’ignorance dans laquelle celui-ci le maintient,
le pratiquant entre alors dans la Félicité, au-delà de l’illusion de toute dualité.
Source texte: Marie
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